Le livre de Pascal Engel sur Julien Benda est une présentation de la philosophie de cet auteur, précise et conceptualisée, qu'il définit par rapport aux divers courants philosophiques français de l'époque de Benda et de la notre. La présentation de la philosophie de cet écrivain français permet de proposer différents arguments pour remettre en cause la cohérence et la validité des principales philosophies françaises qui se sont développées depuis lors. On peut dire que ce livre propose un exercice qui devient difficile avec des auteurs de philosophie plus classiques et mieux connus : offrir une analyse d'ensemble de ses arguments et thèses qui permettent de penser un ensemble d'aspects de notre monde ; ainsi, les conceptions de la vérité, les valeurs intellectuelles, la théorie de la littérature, le rapport de la pensée à la politique sont considérés au travers de l'oeuvre de Benda.
L'écrivain et essayiste s'est en grande partie attaché à critiquer la philosophie de Bergson. C'est donc notamment au travers de l'explication de ce différend que la pensée de Benda est exposée, dans le deuxième chapitre de l'ouvrage. Comme cela peut être le cas pour Russell (que Benda appréciait) vis-à-vis du pragmatisme, l'intérêt de sa pensée réside aussi dans le fait que le bergsonisme continue d'exercer un pouvoir de séduction et une influence constante sur la philosophie française ; du reste, Benda associait assez rigoureusement bergsonisme et pragmatisme, comme le montre la deuxième partie du chapitre II. De manière plus générale, la réflexion à partir des écrits de Julien Benda permet à Pascal Engel de mettre en évidence certaines des tendances constantes de la philosophie française, en particulier son idéalisme et son historicisme, dont il montre certaines des incohérences. C'est, comme un certain nombre d'ouvrages d'auteurs proches de Pascal Engel, une critique très argumentée de la philosophie qu'il arrive d'entendre qualifier de post-moderne : on trouvera chez Jacques Bouveresse et Paul Boghossian des arguments proches de ceux qui sont ici proposés.
Une partie conséquente de l'ouvrage (chapitre IV, pages 179 à 256) est consacrée à une analyse des différentes théories cognitivistes de la littérature. Elle peut être considérée à part des autres, tant la présentation et la classification des différentes philosophies dans le domaine est claire, et proposée indépendamment, sur un certain nombre de pages, de la conception que se fait Benda de la littérature du point de vue de la connaissance qu'elle peut dispenser. Bien sûr, la classification des doctrines sert à situer Benda et à clarifier ses propos dans ce domaine. Mais la présentation critique des différentes contributions à cette réflexion est extrêmement riche : Wittgenstein, Nussbaum, Diamons, Putnam, Bouveresse sont présentés et discutés. A ce titre, nous voudrions ici renvoyer à un autre ouvrage de théorie littéraire qui, à notre avis, présente une thèse très différente de celle qui sont traditionnellement discutée, et argumentée (présentation de l'ouvrage
à cette page). La présentation de la position de Benda sur cette question est l'occasion de définir ce qu'Engel appelle un "style d'idée".
Une présentation très rigoureuse, dense et aussi nuancée de la pensée de Benda, qui se trouve ici lu comme un philosophe.
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